Des Fourmis Humanisées
« C’est une antenne anonyme qui vient d’émettre cette phéromone phrase. La foule se disperse. On la croit, elle. On ne le croit pas, lui. Il a certes des accents de vérité, mais son récit est si peu vraisemblable. Les guerres de printemps ne commencent jamais si tôt. Les naines seraient folles d’attaquer alors qu’elles ne sont même pas toutes réveillées. Chacun reprend sa tâche sans tenir compte de l’information transmise par le 327e mâle.
L’unique survivant de la première expédition de chasse est abasourdi. Ces morts, bon sang, il ne les a pas inventés ! Ils finiront bien par s’apercevoir que l’effectif n’est pas au complet dans une caste.
Ses antennes retombent bêtement sur son front. Il éprouve le sentiment dégradant que son existence ne sert plus à rien. Comme s’il ne vivait plus pour les autres, mais rien que pour lui-même.
Il frissonne d’horreur à cette pensée. Se jette en avant, court fébrilement, ameute et prend les ouvrières à témoin. »
Cet extrait se situe lors des péripéties, 327e mâle. Une des fourmis de la fourmilière de Bel-o-kan, revient d’une mission avec d’autres congénères dans le but de découvrir une arme destructrice qu’une cité de fourmis ennemies préparerait. Tous ses camarades ont été tués d’un seul coup alors qu’il avait le dos tourné. Il retourne dans sa fourmilière pour informer les autres fourmis que leurs ennemis possède une arme destructrice : lors de l’expédition une vingtaine de ses coéquipières ont été tuées. Personne ne le croit, cela semble trop invraisemblable.
Nous pouvons dire que ce passage relève de la science-fiction, la façon qu’ont les fourmis de s’exprimer, la présentation du dialogue, le fait que les fourmis puissent avoir des sentiments, des pensées, paraissent bien imaginaires. Cet extrait dépasse même les caractéristiques de la science-fiction habituelle car il s’agit d’une humanisation des fourmis. Nous pouvons également affirmer que c’est de la science-fiction car la base du propos s’inspire de la réalité. En effet, les « phéromone[s] phrase[s] » existent réellement, l’auteur les a complexifiées et en a fait des phrases pour que le lecteur puissent les comprendre. De même, le discours indirect libre de 327e mâle qui dure tout le long du deuxième paragraphe, où il est notamment fait mention de « caste », est trop humanisé pour correspondre à une quelconque réalité. Ce terme est justifié mais les fourmis n’en ont aucune conscience, ces « caste[s] » se sont créées naturellement, elles résultent simplement des exigences de leur espèce animale, c’est pourquoi le terme de « caste » est exagéré, on parlerait plutôt ici de rôle. La fourmi 327e mâle est même capable d’avoir des sentiments, cela est écrit de manière explicite, « il éprouve le sentiment ». Or, cela parait presque impossible, l’insecte étant caractérisé simplement par son instinct de survie et possédant un « cerveau » dont les capacités sont réduites au minimum, lui assurant les fonctions vitales. Une question existentielle est posée de manière implicite, les antennes de 327e mâle « retombent bêtement sur son front » après qu’il n’est pas pu faire passer sont message donc aider ses semblables, il a même le sentiment que « son existence ne sert plus à rien ». L’aspect littéraire prend donc ici le dessus sur l’aspect scientifique ; la science n’est plus rationnelle car la fourmi est capable d’avoir des sentiments. La fourmi est clairement humanisée par l’auteur, ce qui veut dire que l’auteur fait ici référence à l’Homme. Cela pousse le lecteur à s’interroger sur lui-même.
La question qui pourrait en découler serait : vivons-nous pour nous-mêmes ou pour les autres, notre espèce en général ?
Pour répondre à cela, nous pouvons tout d’abord dire que, de manière générale, les humains vivent plutôt pour eux-mêmes que pour les autres, que pour l’humanité. L’ethnocentrisme, la course au capital, au confort matériel nous le prouvent. Les fourmis quant à elles, ont une vie qui correspond au contraire de la notre. Une fourmi qui meurt ne provoquera aucune peine à ses consœurs, seul la survie de la fourmilière compte. Les fourmis vivent pour cette dernière, la dimension personnelle n’existe pas, seuls perpétuer l’espèce et la rendre plus forte comptent. Ainsi, par ce parallèle entre les fourmis et les Hommes, l’auteur souligne l’égoïsme qui caractérise les humains face à la solidarité des fourmis. Il montre ainsi que l’Homme aurait tout à gagner en aidant son prochain car cela bénéficierait également à lui-même. Il ne faut pas oublier que cette comparaison audacieuse a pour limite la nature humaine, qui n’est et ne pourra jamais être celui d’une autre espèce animale.
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